« FILMS » : « J’ai des souvenirs d’intimité très forts avec le cinéma », confie le guitariste Thibault Cauvin
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C’est un des guitaristes les plus talentueux de sa génération. A 20 ans, avec 36 prix internationaux, il est devenu le guitariste le plus titré au monde. A 36 ans, aujourd’hui, il a déjà joué dans plus de 130 pays et certaines des plus grandes salles de concert du monde. Et pourtant le grand public français l’a découvert avec son album FILMS (Sony Music) sorti fin avril. Thibault Cauvin y reprend les thèmes célèbres d’Arizona Dream, La La Land, ou Drive mais aussi des musiques plus intimistes comme celles du Voyage de Chihiro, The Hours, In the Mood for Love… avec des arrangements et des samples qui transcendent la virtuosité de son jeu classique. Un album que ce « citoyen du monde » a réalisé comme une invitation au rêve et au voyage pendant le confinement qui a mis un coup d’arrêt à sa vie de musicien nomade. « On ne serait jamais allé aussi intensément dans la folie si on avait eu une vie normale ! Du coup, je me suis jamais autant amusé que sur ce disque-là », explique-t-il.
Les concerts reprennent après plus d’un an et demi de restrictions. Quel est votre état d’esprit, comment vous sentez-vous ?
Je suis très heureux. J’ai donné mon premier concert quand j’avais 12 ans et depuis je n’avais jamais passé un mois sans donner de concerts. J’ai vécu comme un nomade pendant plus de 15 ans, sans maison, en voyage perpétuel, en tournée de salle de concerts, en salle de concerts. Même si j’ai désormais un appartement à Paris, pour moi, ce confinement était quelque chose de complètement nouveau, ce qui a accentué sa dimension triste. Aujourd’hui, je suis donc hyper heureux que ça reparte. J’ai l’impression que chaque spectateur est un ami proche et que je le retrouve après ne pas l’avoir vu pendant un an. J’ai envie de faire des bises à chacun des spectateurs dans la salle !
Pendant le confinement, vous avez trouvé, grâce aux réseaux sociaux, notamment Instagram et Facebook, un moyen de continuer à jouer et de partager votre musique. Quel rapport entretenez-vous avec ces plateformes ?
Les réseaux sociaux m’accompagnaient dans ma vie depuis qu’ils existent. J’ai eu cette chance de jouer dans presque 130 pays et donc quand je suis à Ouagadougou, à Séoul ou à Rio, j’ai envie de prendre des photos, de les partager. J’essaye de tenir ça un peu comme une BD de Tintin et il y a une communauté de gens qui me suivent.
Mais avec le confinement en effet, je me suis retrouvé sédentarisé, sans projet, avec la vie qui s’arrête. Et c’est à ce moment-là que j’ai reçu chez moi un tableau que j’avais acheté quelque temps avant dans une galerie à Little Havana, le quartier cubain de Miami, en Floride. C’est un tableau peint en 1945 par un grand peintre cubain qui s’appelle René Portocarrero. Il m’a tellement bouleversé que je l’ai acheté. C’était la première peinture que j’achetais de ma vie. Et en me retrouvant confiné face à ce tableau chez moi à Paris, j’ai repensé aux pièces de Leo Brouwer, qui est un grand compositeur cubain.
Je me suis dit que j’allais, pendant le confinement, jouer et partager chaque jour une de ses 30 petites pièces (A l’époque, je pensais que le confinement allait durer 30 jours !) Et pour accentuer le côté jeu, je challengeais deux guitaristes que j’aime bien dans le monde. En fait, ça a pris des proportions complètement folles ! Il y a presque des milliers de versions venant du monde entier, de grands guitaristes, mais aussi d’amateurs. Il y a des personnes qui m’ont écrit en me disant : « Je n’avais pas touché la guitare depuis dix ans. Ça a été l’occasion de rejouer les pièces ». C’était très touchant et très beau.
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Votre spectacle « Thibault Cauvin raconte et joue Leo Brouwer » que vous jouez actuellement est même né de cette expérience du #BrouwerChallenge sur Instagram
A la fin du confinement, j’ai plongé dans un studio pour enregistrer ces pièces. Et le grand compositeur Leo Brouwer qui a 81 ans aujourd’hui, a entendu parler de mon projet de disque. Je lui ai écrit, il a été touché et il m’a écrit trois nouvelles pièces pour ponctuer ce cycle qui l’a accompagné toute sa vie. Aujourd’hui, on a 33 petites pièces. C’était un rêve de petit garçon car j’ai découvert ces pièces-là, quand j’avais 12 ans dans la banlieue bordelaise. Ce projet est en toute intimité, plein d’imprévus !
Ce confinement a été très fertile car vous avez aussi sorti fin avril un autre album de reprises de musiques de cinéma, FILMS. Comment est né ce projet ?
C’est un grand projet qui date depuis bien longtemps avant le confinement. L’idée était de remanier, de transformer, de réadapter avec mon jeu et avec ma guitare les plus grandes musiques de film.
Cette envie est en moi depuis que j’étais petit garçon. Mon père est guitariste et toute la journée, je jouais avec lui. Le soir, ma mère, elle, me racontait des histoires, des contes et légendes du bout du monde. J’adorais ça. Et le lendemain, quand je reprenais ma guitare, je me faisais des films dans ma tête avec la musique, je jouais les histoires que m’avait racontées ma mère. Et ça m’est resté encore maintenant.
Il y a quelque temps, à la fin d’un concert, un petit garçon est venu me voir pour me dire qu’en m’écoutant il avait eu l’impression d’être au cinéma, qu’il avait vu des personnages, des anges, des décors, des monstres. En arrivant à l’hôtel, je me suis demandé s’il avait vu les mêmes images que moi et je me suis dit que ça serait pas mal pour que tout le monde soit raccord de partir de vraies images, de vrais films. Et d’essayer de faire que chacun le poursuive dans son rêve. J’ai commencé ensuite à choisir des musiques, mais ça n’a pas été facile.
Vous racontez que vous êtes une sorte de « cinéphile d’avions » ?
Oui, j’ai vu plein de films dans l’avion. Je passe énormément de temps à voyager seul en tournée et je trouve qu’on est hyper sensible en avion : quand on est au milieu de l’Atlantique, la nuit, que tout le monde dort et qu’on est tout seul avec son écran, on plonge vraiment dedans. J’ai des souvenirs d’intimité avec le cinéma très forts et des souvenirs d’émotions très prenants. Et en plus à, chaque fois, j’essaie de regarder un film qui est lié à la destination où je vais. Et du coup, quand j’arrive dans la ville où parfois je ne reste que deux jours, j’ai l’impression presque d’être dans le film. Il n’y a pas vraiment de frontière entre le rêve et la réalité.
Click Here: mens all stars nrl jerseyAvec ce nouvel album vous vous êtes aussi mué en « DJ guitariste classique » avec un dispositif de pédales. C’est grisant de pousser les limites de son instrument classique ? De sa technique ?
Oui, complètement. J’ai toujours ce besoin d’expérimenter, de voyager dans la musique. Quand mon ami Matthieu Chedid m’a invité lors de sa dernière tournée à Bordeaux à venir jouer un morceau que nous avions composé ensemble, j’ai eu l’occasion de voir sur scène tout son dispositif incroyable. Je me suis dit ça serait dingue d’arriver à brancher tout ce vaisseau spatial sur ma guitare classique !
J’ai appelé mon luthier. Il m’a traité de fou, comme à chaque fois. Puis après, il s’est pris la tête et on a réussi à faire quelque chose de complètement nouveau. Je joue avec la technique de la guitare classique, avec ce jeu qui existe depuis des siècles et en même temps je suis connecté à tous ces effets très actuels. Il y a eu un très gros travail de recherche sur les sons. C’était passionnant. En plus, le confinement a fait que toute l’équipe qui m’entourait dans cette aventure, les ingénieurs du son, les arrangeurs, avait beaucoup de temps. On s’y est donc plongé à fond. On ne serait jamais allé aussi intensément dans la folie si on avait eu une vie normale ! Du coup, je me suis jamais autant amusé que sur ce disque-là.
Dans votre jeunesse, vous avez eu une approche très compétitive de la musique comme un sportif de haut niveau. En vous retrouvant sur scène avec un dispositif que vous maîtrisez moins vous cherchez ce même frisson ?
Pour être sincère, c’est vrai que ce nouveau dispositif est très difficile à mettre en place. Je travaille comme un fou chez moi parce que jouer aussi avec les pieds demande au cerveau de se dédoubler. Et je ne veux faire aucune concession dans mon jeu de guitare, donc c’est vraiment une addition plutôt qu’un remplacement.
Vous mettez la barre encore un peu plus haut techniquement ?
Je voulais vraiment garder ce jeu très virtuose, très complexe et en même temps ajouter cette nouvelle installation et c’est passionnant. Mais ce n’est pas avec une approche de compétiteur comme j’avais avant : ado, en effet, j’étais clairement comme un tennisman et j’ai adoré l’adrénaline, la rivalité, mais dans le sens noble, de s’amuser avec les autres, repousser les limites. Aujourd’hui, j’ai plus l’envie de faire rêver, d’être avec les gens. J’ai été très savant et très élitiste. Quand on fait quelque chose à haut niveau, on peut vriller, être en marge. Et là, aujourd’hui mon envie c’est plutôt de rassembler les gens et de jouer pour tous les rêveurs.
Comment expliquez-vous que la guitare classique soit finalement un instrument peu connu ?
Je n’ai pas la réponse. Mais c’est vrai que ce paradoxe m’interpelle. C’est l’instrument le plus joué dans le monde, le plus décliné. On connaît tous quelqu’un qui joue de la guitare pas forcément classique On a tous un souvenir d’un moment intime avec pote guitariste… Mais effectivement, la guitare classique est méconnue, mais je ne sais pas pourquoi. J’ai un tel amour infini pour la guitare que je me dis que je ne comprends pas comment tout le monde ne peut pas aimer la guitare. C’est un peu comme quand on découvre un bon vin, la chose qui me tarde c’est d’inviter des amis pour leur faire goûter !
Avec FILMS essayez-vous de faire tomber les préjugés autour de la guitare classique ? D’enlever les étiquettes sur les différents types de musique ?
Tout à fait même si ce n’est pas forcément conscient parce que cette envie de faire tomber les frontières géographiques ou ce sentiment d’être citoyen du monde sont profondément imprégnés en moi. Avec la musique, c’est pareil. J’ai étudié au conservatoire avec une approche de musicien classique de haut niveau et à côté mon père était un rockeur avec des musiques très électriques. Et à côté de ça, lors de tous mes voyages, j’ai vu et croisé des musiciens partout dans le monde, de musiques populaires, d’instruments complètement nouveaux, inimaginables, ancestraux. Et puis je suis un gars d’une trentaine d’années, au XXIe siècle, il y a simplement une envie d’être dans mon temps.
Est-ce que vous avez envie d’explorer ensuite d’autres univers musicaux plus pop, rock, électro ?
Pourquoi pas. Je ne m’interdis rien. Je commence à me connaître un peu les années passant et je sais que j’ai plein d’idées tout le temps, que certaines me touchent et que j’essaye de les réaliser. J’ai eu cette chance de réaliser des rêves complètement fous, donc je continue à rêver et à m’autoriser la fantaisie, sans limite. Donc tout est possible.
Le 30 juin, les dernières restrictions sanitaires devraient être levées. Quel sera votre été post-confinement rêvé ?
Célébrer la vie pleinement, aller au restaurant, embrasser tout le monde et voyager, faire aussi énormément de surf…. Et bien sûr, les concerts ! Je suis en train de préparer cette grande tournée autour de ce disque FILMS qui démarrera en octobre. Le souhait c’est vraiment d’avoir un grand spectacle qui soit une expérience. Nous avons déjà une date à Paris, à La Cigale, en mai prochain. Et puis, il y aura plein d’autres concerts partout en France et à l’étranger. J’ai vraiment envie que cette tournée célèbre la liberté et le rêve… J’espère qu’elle va durer deux cents ans !
« Thibault Cauvin raconte et joue Leo Brouwer », le 15 (complet), 16 et 17 juin 2021 à la Galerie Eko Sato à Paris. Le concert FILMS, le 17 mai 2022 à La Cigale à Paris.